Two steps on water - ft Mira

Edouard a toujours quelque chose dans la bouche. Un vestige maternel sans doute, un besoin de se lier à un environnement trop volatile peut-être. Il termine d’avaler son quart d’orange, le jus éclatant sur sa langue vorace, la bouche en succion rapide et délicate sur le bout des doigts.

Le soleil épice la devanture du magasin botanique, lui donne cette allure propre aux cavernes aux milles merveilles que l’on imagine au détour des contes et autres histoires millénaires. Les jambes cisaillent l’asphalte avec la précision et la légèreté d’une tenaille qui sait déjà sur quoi elle va se refermer. Il y quelques clients épars à l’intérieur. En retard surtout. La boutique doit fermer dans quelques minutes « Mira ! » Il s’annonce, une pointe d’amusement dans le velours de la voix, se délecte de voir quelques corps sursauter au passage. Les regards se tournent vers sa haute silhouette affutée mais il passe trop vite derrière la caisse et à travers la porte qui mène à la réserve.

Il passe en courant d’air.

« Mira ! Ah te voilà. Tu as des clients, encore. » Cela sonne comme un reproche aérien. Il la voit prendre ce qu’il faut, l’efficacité adorable, des éclairs déjà dans ses grands yeux bruns. Il l’admire durant ses jours de soleil – beaucoup moins les jours de pluie où l’eau sature l’espace. Il l’admire mais n’en dit rien. Parce qu’elle a toujours été déterminée et fonceuse, parce qu’à 25 ans ce n’est pas toujours simple d’avoir quitté sa planète d’origine – verte et luxuriante – pour se faire un nom dans les méandres imperturbables de Magix. Tout ça, il le sait et il s’imagine qu’elle le sait aussi.
Les mots sont inutiles. Du vent.

La brune zigzague, toute à son ouvrage, imperturbable.

Edouard fronce un instant ses lèvres pleines. Dans le fond de sa poche les doigts se referment sur un paquet de chewing-gum à la chlorophylle. Un bref instant, il se demande si ce serait du cannibalisme s’il en donnait une dragée moelleuse à une de ses plantes carnivores que Mira possède dans son antre étrange. Il a dans l’idée qu’elle l’étoufferait avec une bouteille d’Evian de 50cl si jamais il tentait la chose et, comme il aime assez vivre, il ne s’y risque pas.

Plus tard, peut-être.

La dernière cliente est ancienne, les vestiges d’une vie généreuse sur son beau visage recouvert de sillons. « Votre petit ami vient vous aider à fermer boutique ? C’est si charmant. » Fait-elle dans une voix chevrotante tandis que le paquet ficelé glisse des doigts habiles de la sorcière à ceux de la cliente. Edouard sourit, les canines tranchantes, le rire imparable vibrant sur sa cage thoracique. Il se penche, coudes sur le plan de la caisse et secrets sur la langue. Il voit bien la lueur de curiosité papillonnée sous les cils d’argent et le sourire se creuse, félin. « Ah non madame, je suis le propriétaire.» Et de darder un regard qui suinte les projets licencieux vers Mira. « Je viens chercher mon loyer. » Il se redresse comme si de rien n’était, comme s’il n’avait pas entendu le hoquet de surprise s’échapper de la vieille dame, comme si son bras n’était pas venu se poser autour des épaules dorées de la sorcière.

Il pourrait en rire mais se retient, le blanc des yeux en lit mortuaire pour ses nombreux mensonges puis hausse les épaules quand il entend la dernière cloche tintinnabuler, annonçant le départ de la mamie offusquée. « Tu devrais me remercier, elle va te prendre en pitié et venir t’acheter encore plus de choses maintenant. Chewing-gum ? »

@Mira Taraco

La boutique va bientôt fermer. Y a encore quelques clients dans la boutique, mais tant que personne ne sonne la petite sonnette sur le comptoir, Mira finit ce qu'elle a commencé à l'arrière boutique. Il lui manque quelques petites gouttes et elle aura terminé. Pouvoir utilisé à la précision pour avoir les gouttes, il lui faut juste ce qu'il faut, pas plus, pas moins, sinon le poison sera un échec. Dés qu'elle aura terminé, il lui restera une potion à faire et elle rentrera chez elle.

"Mira !" C'est fort et y a peu de personnes qui se permettent de parler aussi fort dans sa boutique pour l'interpeller. Surtout elle. La moitié des personnes qui entre dans la boutique la regarde d'un air méfiant, même ceux qui viennent souvent, juste par précaution. Ça ne l'empêche de se concentrer sur la finition de ce qu'elle était en train de faire. Une fois qu'elle aura terminée, il pourra réclamer son attention. "Mira ! Ah te voilà. Tu as des clients, encore." "J'suis trop populaire, que veux-tu." Lui répond Mira tout en terminant ses activités. Elle range la fiole dans un placard, le ferme à clé et se retourne vers Edouard.

"Votre petit ami vient vous aider à fermer boutique ? C’est si charmant." Lance une cliente qu'elle a déjà vu. Elle récupère toujours les mêmes ingrédients provenant de Linphea, Mira la soupçonne d'avoir mal quelque part et de se concocter des potions apaisantes. Ceci dit, elle fait bien erreur sur la relation qui se déroule devant elle. Déjà, Mira n'est clairement pas intéressé par le bonhomme. Par aucun bonhomme, d'ailleurs, tout simplement. Et ensuite, elle n'a pas besoin d'aide pour faire quoi que ce soit, merci bien. "Ah non madame, je suis le propriétaire. Je viens chercher mon loyer." Mira fronce els sourcils en l'entendant dire ça. Il passe son bras autour des épaules de Mira. Elle lance un faux sourire à la vieille dame, prépare déjà sa revanche sur Edouard. Pour faire bonne image, elle ne la mettra en marche qu'une fois la dame partie.

La femme enfin partie, Mira se tourne vers Edouard qui continue de parler. "Tu devrais me remercier, elle va te prendre en pitié et venir t’acheter encore plus de choses maintenant. Chewing-gum ?" Il lui tend un chewing-gum sans pour autant se douter qu'un nuage d'eau plane au-dessus de sa tête. Nuage qui s'écrase sur son crâne, sans pour autant qu'une seule goutte d'eau ne frôle Mira, ni le sol. Tout est tombé sur Edouard. "Oops, faut croire qu'il pleut à l'intérieur. C'est marrant, c'est que sur toi. Faut croire que la propriétaire n'est pas contente." Lance Mira en haussant les épaules, un sourire taquin illuminant son visage. "Gamin." Ajoute-t-elle en secouant la tête. Elle va fermer la porte à clé avant de lui indiquer de la suivre à l'arrière boutique - c'est son endroit préféré dans le coin, même si ce n'est pas forcément le mieux rangé.

@Edouard Helm

C’est un flash, un éclair. La lueur métallique zèbre le bleu-vert des yeux tandis que l’eau lui ruisselle sur le front. Un rire s’échappe, délicieux. La chemise s’imprègne puis colle à la peau sous la veste un peu comme la taquinerie adhère entre leurs âmes souillées d’obscur – naturellement. Des perles liquides et inodores roulent sur le tissu spongieux. « Oops ? Vraiment ? » Il trouve la formule enfantine, trop délicate pour la bouche d’une sorcière qu’il connait depuis si longtemps.
Il darde sa langue sur l’eau du nuage. C’est frais, ça glisse, à la manière d’une humeur brumeuse un jour de malchance. Edouard laisse sa gorge vibrer sous son rire en cascade puis s’essuie d’un revers de la main, les doigts en velours sur l’éther insatiable. « Si tu voulais faire un concours de t-shirt mouillés, fallait le dire. » Tricheuse. Il sent les atomes se figer, l’espace vibrer sous l'impulsion de son pouvoir. Un souffle lui glisse dessus en volutes maitrisés tandis que le châtain doré de ses cheveux se soulève en ondulations sages. « L’eau, ma belle, ça s’évapore. » Les mèches se gonflent d’air, les molécules se cristallisent. Ces éléments sont terribles entre eux et, tandis que le souffle se fait un peu plus épais, Edouard exhale un soupir dans une gracieuse satisfaction.  Le tissu retombe, les mèches aussi.

D’un geste rapide, il passe ses longs doigts dans ses cheveux, agite le devant de sa chemise encore trop fraîche. Il a l’air d’un caniche et ne s’en préoccupe absolument pas. L’humidité a toujours eu quelque chose de sournois, elle abaisse la température de l’air, l’imprègne d’une rudesse polaire qui fait grelotter. « Si j’attrape la mort, ce sera de ta faute, Mira. » Tes funérailles. Il chantonne presque, l’indécrottable sourire qui ne gagne pas les yeux en promesses indicibles. Les poignards ne sont jamais bien loin chez eux. Les sorciers se parent d’amitiés volages, d’épanchements fugaces, de liens éphémères.
L’héritier des Helm trouve cela reposant. Ou peut-être qu’il n’a jamais connu que cela et n’envisage même pas les choses autrement. Comment font-ils les autres pour s’étreindre et se faire confiance ? Manquent-ils d’imagination ? Font-ils abstraction de toute ces petites trahisons quotidiennes ? De toute ces mesquineries constantes ?

C’est tout ou c’est rien pense-t-il parfois en fermant les yeux le soir.

Edouard préfère encore que ce ne soit rien.

« Cela te ferait plaisir ? » Il la regarde dans une nonchalance crasse, un peu de douceur au bord des cils. Le corps se repose contre le mur maintenant qu’il l’a suivi à nouveau dans son antre.

Il n’a pas besoin de réponse.

« J’ai reçu une invitation pour l’ouverture du nouveau bar à tapas du côté sud. Tu connais ? Ça m’a tout l’air d’être un lieu idyllique où nos chers compatriotes et membres de la très honorable et généreuse Alfea se retrouveront souvent. »  Il n’a pas du tout été invité, la chose circule de magigrams en magiphones tout simplement. Il n’en dit rien et souffle sur une mèche lui retombant devant les yeux avant de reprendre sereinement. « J’ai dans l’idée d’y passer rapidement. Tu y seras ? » L’innocence s’invite dans la conversation, adorable.

Fausse.

@Mira Taraco

Mira arrose Edouard et ça le fait rire. Tant mieux. C'était pas exactement le but, c'était juste pour le faire chier vu qu'il a osé prétendre être le propriétaire des lieux, mais bon. "Oops ? Vraiment ?" Mira hausse les épaules, désinvolte à souhait. De toute façon, il ne va rien faire. C'était de bonne guerre et si elle aurait certainement pu faire largement pire, elle apprécie suffisamment Edouard pour que la vengeance soit à la haute de la considération qu'elle lui porte. Donc moindre, car si elle ne l'appréciait pas - il aurait mieux valu pour lui qu'il déguerpisse rapidement, sinon, ça n'aurait pas été une légère pluie, mais une foutue vague (quitte à le noyer dedans).

Il commence à s'essuyer et Mira ne laisse toujours pas une seule goutte d'eau retombé sur le sol. Non pas qu'elle aurait du mal à les nettoyer, mais autant l'éviter tout de suite. "Si tu voulais faire un concours de t-shirt mouillés, fallait le dire." C'est au tour de Mira de lâcher un rire, car si concours il y devait y avoir, ils savent tous les deux qui le gagnerait. En tout cas, elle, elle le sait pertinemment. "J'en sortirais grande gagnante, bien entendu." Et bien entendu, elle est obligée de le lui signaler, histoire qu'il n'y ait absolument aucun malentendu. Edouard commence à se sécher à l'aide de son pouvoir - l'air, tandis que Mira se met à compter les billets dans la caisse. Hm, pas mal. "L’eau, ma belle, ça s’évapore." Heureusement pour lui, car sinon, il ressemblerait à un pauvre chien mouillé et ce serait pas bien glamour. D'ailleurs, son séchoir n'a pas arrangé sa coupe de cheveux, mais bon, il a fait au mieux au vus des circonstances.

"Si j’attrape la mort, ce sera de ta faute, Mira." Elle le regarde dans les yeux, sourcils haussés, sourire amusé aux lèvres. Faible menace. "Si t'attrapes la mort, j'ai plein de potions à vendre pour te soigner." Répond la sorcière - faut toujours vendre, c'est important, les affaires. Edouard la suit dans l'arrière boutique et elle ferme la porte derrière eux. "Cela te ferait plaisir ?" Mira l'observe un moment, tête penchée sur le côté. "Les gens meurent tout le temps, ça fait rarement plaisir - sauf quand on ne les aime pas." À lui de comprendre ce qu'il y a à comprendre là-dedans. Ça ne lui ferait pas plaisir - c'est ça qu'il faut en comprendre, mais il n'aura pas mieux.

"J’ai reçu une invitation pour l’ouverture du nouveau bar à tapas du côté sud. Tu connais ? Ça m’a tout l’air d’être un lieu idyllique où nos chers compatriotes et membres de la très honorable et généreuse Alfea se retrouveront souvent." Il marque une courte pause et ça se voit qu'il a une idée derrière la tête - Mira croit comprendre où il veut en venir. "J’ai dans l’idée d’y passer rapidement. Tu y seras ?" Une invitation pour semer la zizanie chez ces charmantes petites fées beaucoup trop pures pour ce monde ? Hm, évidemment. "Si tu m'invites, avec grand plaisir. Je ne dis jamais non à ce genre de propositions, tu sais bien." Parce qu'elle ne les aime pas, avec leurs faux airs innocents, comme si elles ne faisaient jamais rien de mal. Comme si elles étaient parfaites, alors que personne ne l'est. Incapable d'admettre leurs défauts - voilà leur problème. "C'est quand ? Ce soir ?" Parfois trop absorbée par sa boutique pour connaitre les nouveautés de Magix. Pas que ça la dérange, certains clients sont suffisamment bavards pour qu'elle ait l'impression de tout savoir sur ce qu'il se passe aux alentours...

@Edouard Helm

« Si t'attrapes la mort, j'ai plein de potions à vendre pour te soigner. » Une once d’impatience lui zèbre les bronches. « Tu me feras un prix j’espère. » On marchande si souvent parmi les sorciers : des secrets, des corps, des faveurs, des sorts et parfois même des âmes. « Ça m’embêterait que tu te fasses rouler. » Et toujours ce même rictus de sale gosse à ses traits, cette même mine joueuse et effrontée quand il vient la voir dans son antre.
Longtemps, Edouard s’est heurté à la rage obstinée de Mira, longtemps ils se sont vu en miroir, vents mauvais et courants contraires, mais l’amitié tortueuse qu’ils entretiennent possède des trésors insoupçonnés que même des amants ne sauraient toujours partager. Elle feule pourtant, la violence en vague tempétueuse sur sa peau et il sourit, amusé, un dodelinement narquois en guise de rire. Que dit déjà le vieil adage ? Qu’il faut se méfier de l’eau qui dort ? Il n’en sait rien, il ne l’a jamais vu dormir en fin de compte. Il soupçonne qu’elle le fait avec les poings serrés et de la défiance au bout des cils.

La brune s’emporte à nouveau, peau de miel et langue amère, dans une tendresse toute relative et bougonne. « Ce soir, oui. » Ça pue la mauvaise idée à plein museau. « Saoulez les étudiants sages et les regarder s’entretuer à coup de magie quelques heures après… mmm… Noël avant l’heure. » Il ne dit pas l’évident, qu’ils seront source, étincelles généreuses, du venin en guise de souffle chantant aux oreilles qui veulent bien se tendre. Qui sème au vent, récolte la tempête après tout. C’est délicieux. Le lendemain il y a toute ces mines dépitées, ces faces de carêmes pétries de honte ensommeillée, ces relents d’horreur face aux souvenirs nébuleux.

Définitivement la meilleure partie d’une petite apocalypse organisée. Dommage qu’ils ne puissent y assister.

« Faisons-en sorte que les magigrams s’en donnent à cœur joie. A moins… » Il darde un regard serein vers la jeune femme, des abysses au fond des pupilles. « que tu n’aies quelques états d’âmes vis-à-vis de certains, disons, amis ? »

Edouard hausse les épaules comme si tout ceci n'a pas la moindre importance.

Le mensonge a la couleur de l'indifférence.

@Mira Taraco